Le fédérateur de la gauche française
Jean Jaurès est né à Castres (Tarn) le 3 septembre 1859 dans une famille bourgeoise en déclin. Son enfance se déroule dans la ferme de son père. Boursier, il est un brillant élève du collège de Castres, puis entre premier à l'Ecole Normale Supérieure. Agrégé de philosophie à 21 ans, il exerce au lycée d'Albi, puis à la Faculté des Lettres de Toulouse.
Jean Jaurès débute sa carrière politique à 25 ans comme député républicain du Tarn.
Il montre rapidement des préoccupations sociales et un incomparable talent d’orateur qui feront sa légende. Battu aux élections de 1889, il revient à l'Université, tout en siégeant en tant qu'adjoint dans la municipalité de gauche de Toulouse.
l’engage définitivement sur la voie du socialisme. Elu député « socialiste indépendant » en 1893, il représente les ouvriers en lutte et dénonce le pouvoir capitaliste.
Farouche partisan de l'unité socialiste, il fédère le mouvement ouvrier français au sein de la en 1905 et travaille à rapprocher ce parti de la CGT structurée à la même époque.
Il est aujourd’hui considéré comme une des figures les plus sacrées de l'histoire et de la mémoire des socialistes français.
Laïque convaincu et humaniste engagé
Considérant que « la laïcité et la démocratie sont identiques », Jaurès est un des principaux instigateurs et rédacteurs de la .
Deux de ses combats majeurs sont l’abolition de la peine de mort et la défense du .
D’abord hésitant sur le cas du capitaine Dreyfus, il se lança dans la bataille dès qu’il acquit la certitude qu’une erreur judiciaire avait été commise :
« Si Dreyfus […] est innocent, il est dépouillé, par l’excès même du malheur, de tout caractère de classe, il n’est plus que l’humanité elle-même au plus haut degré de misère et de désespoir qui se puisse imaginer. » (Les Preuves, recueil d'articles parus dans La Petite République, été 1898).
L’apôtre de la paix
Jaurès admettait la colonisation à condition qu'elle soit un vecteur de progrès pour les peuples colonisés. Mais il s'est élevé avec indignation contre le racisme et la violence exercée au nom de la France, par exemple au Maroc en 1908.
Il fut l' , par ses interventions parlementaires en faveur d'une diplomatie d'arbitrage et de sécurité collective, par son combat au sein de l'Internationale ouvrière pour organiser la grève générale en cas de conflit. Il s'est battu contre la loi des trois ans de service militaire, et pour une armée intégrée à la population. Il a lutté de toutes ses forces contre le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Devenu l'homme à abattre pour les nationalistes, il est assassiné le 31 juillet 1914 au Café du Croissant, à Paris, par l'un d'eux. Ses cendres sont transférées au Panthéon en 1924.
Textes de Rémy Pech, Professeur d'histoire contemporaine et ancien président de l'université de Toulouse-Le Mirail.
Pour aller plus loin
Oeuvres complètes, M.Rebérioux et G.Candar, dir., Paris, Fayard. 5 tomes sur 16 prévus.
La Dépêche, Intégrale des articles de Jaurès, Toulouse, Privat/La Dépêche, 2009.
Jean Jaurès, Rallumer tous les soleils, Jean-Pierre Rioux, Paris, Perrin 2006.
Jaurès, la parole et l'acte, Madeleine Rebérioux, Paris, Découvertes Gallimard, 1994.
Le grand Jaurès, Max Gallo, Paris, Robert Laffont, 1984.
Jean Jaurès, Jean-Pierre Rioux, Paris, Perrin, 2009.
Jaurès, Jean Sagnes, Béziers, Aldacom, 2009.
Cahiers Jaurès, revue éditée par la Société d'Études Jaurésiennes :
www.jaures.info
Site du Centre national et musée Jean Jaurès de Castres :
www.amis-musees-castres.asso.fr
Fondation Jean Jaurès :
www.jean-jaures.org.
La grève de 1892 à Carmaux
Jean-Baptiste Calvignac, ouvrier mineur élu maire de Carmaux, est abusivement licencié pour les absences dues à son mandat par son patron, le marquis de Solages, député du Tarn. Par solidarité avec leur camarade, les mineurs entament une grève de dix semaines, soutenue par une campagne nationale qui aboutit à sa réintégration. Le marquis démissionnant de son mandat de député, Jaurès, qui avait soutenu Calvignac dans la Dépêche, est choisi par les militants comme candidat socialiste. Son élection en janvier 1893, renouvelée peu après aux élections générales, marque un tournant dans sa carrière politique en en faisant le leader de l'extrême-gauche socialiste à la Chambre.
Les mineurs de Carmaux accompagnant le catafalque lors du transfert des cendres de Jean Jaurès au Panthéon. Paris, 1924.
La création de la SFIO
Depuis son engagement à Carmaux, Jaurès poursuit inlassablement la réalisation de l'unité socialiste. Mais il se heurte à la division et aux divergences quant à la participation aux ministères de défense républicaine, qu'il soutient à partir de 1899. Le regroupement des socialistes progresse toutefois avec deux partis: le PSDF de Guesde et Vaillant et le PSF de Jaurès et Allemane. En 1904, Jaurès lance l'Humanité et renonce au principe de la participation ministérielle au congrès de l'Internationale à Amsterdam. Il réalise enfin, le 26 avril 1905, l'unité, au sein du Parti Socialiste Unifié, Section Française de l'Internationale Ouvrière. Un meeting monstre se tient aux Arènes de Béziers le 30 avril 1905 pour lancer le nouveau parti.
Délégation du Parti socialiste SFIO, dont Jean Jaurès (au centre), Edouard Vaillant et Pierre Renaudel, hommes politiques français.
Paris, mur des Fédérés, 1913.
La loi de 1905 de séparation des Églises et de l'État
Défenseur de l'école laïque depuis les années 1880, Jaurès coordonne les partis de la majorité de gauche à la Chambre élue en 1902. Il soutient les lois laïques de Combes, puis intervient avec Briand dans la préparation de la loi de Séparation, votée le 5 décembre 1905 sous le ministère Rouvier. Il rédige notamment l'article 4 qui garantit l'indépendance des Eglises. L'entretien des édifices religieux est assuré par les collectivités. La loi de 1905 fonde une laïcité respectueuse de toutes les convictions spirituelles.
"L'Humanité", 23 mars 1919. Première page consacrée à Jaurès
L’affaire Dreyfus
Jaurès est d'abord convaincu de la culpabilité de Dreyfus, condamné pour trahison au bagne de Cayenne en 1894, mais il découvre peu à peu la vérité et les machinations des gouvernements et de l'Etat-major militaire protégeant le coupable Esterhazy. Avec Clémenceau et Zola, il mène campagne et obtient la révision du procès en 1899. Dreyfus, à nouveau condamné est grâcié par le président de la République Loubet, mais sa réhabilitation complète n'est obtenue qu'en 1906 par la ténacité de Jaurès. L'Affaire a révélé la puissance de la droite nationaliste et cléricale qui en a profité pour mener un assaut en règle, entaché d'antisémitisme, contre le régime républicain. La gauche rassemblée pour la défense républicaine triomphe aux élections de 1902. Au-delà de la lutte politique, l'Affaire, combat pour la Justice et la Vérité, a renforcé la dimension éthique de l'engagement socialiste.
Séance agitée à la Chambre des députés au moment de l'affaire Dreyfus. Jaurès à la tribune.
Gravure d'Henri Meyer. "Le Petit journal", 6 février 1898.
Le combat pour la paix de Jean Jaurès
Issu d'une famille aux nombreuses personnalités militaires, Jaurès n'en est pas moins épris de paix et dénonce dès 1895 la société violente et chaotique qui porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l'orage. Il s'alarme des traités qui divisent l'Europe en systèmes d'alliances opposés , des rivalités coloniales et de la course aux armements qui en découle. Il combat l'allongement à trois ans du service militaire et imagine une réforme militaire pour constituer une armée nouvelle, défensive et populaire ( 1911). Il encourage les tentatives pour l'arbitrage des conflits entre États. Parallèlement, il fait prévaloir au sein de l'Internationale ouvrière, à partir du congrès de Stuttgart de 1907, le recours à la grève générale simultanément organisée en cas de conflit. Pour lui un peu de patriotisme éloigne de l''Internationale, beaucoup y ramène. Mais les conflits coloniaux et balkaniques exacerbent les nationalismes et l'assassinat de Jaurès le 31 juillet 1914 précède de peu l'ouverture de la grande tuerie.
Discours de Jean Jaurès le 25 mai 1913, lors de la manifestation contre la loi de 3 ans au Pré-Saint-Gervais (à la droite de Jaurès, assis, de profil : Pierre Renaudel, un des fondateurs du Parti socialiste français.