La révolution nationale
Gamal Abdel Nasser a grandi dans une famille paysanne de Haute-Egypte. Comme beaucoup de jeunes Egyptiens, il supporte mal la domination politique de la Grande-Bretagne sur l’Egypte, malgré l’indépendance formelle de 1922.
Gravissant les échelons de la hiérarchie militaire, il s’impose à la tête de l’organisation clandestine des « officiers libres » - un groupe de jeunes militaires qui avaient choisi l’armée à la fois comme moyen d’ascension sociale (le père de Nasser était, par exemple, facteur), et comme outil pour libérer le pays - qui renverse le roi Farouk en juillet 1952.
En juin 1953, lorsque que la République est proclamée, le Général Neguib en devient le Président et Nasser le Premier ministre.
Les partis politiques sont dissous, les communistes et les emprisonnés, et Nasser prend la tête de l’unique formation politique, le Rassemblement de la Libération.
Devenu le maître effectif du pays, Nasser écarte Néguib du pouvoir en novembre 1954. Plébiscité par 99,84 % des voix, il devient président de la République égyptienne le 25 juin 1956.
L’icône du monde arabe
En pleine , Nasser est un des initiateurs du et de la conférence de Bandung (1955), aux côtés du Chinois Zhou Enlai et de l'Indien Nehru.
Mais, au fil du temps, il se rapproche des Soviétiques. Après la mort de Staline et la prise du pouvoir par Khrouchtchev, en effet, l’URSS donna une dimension planétaire à sa politique étrangère, dans le cadre de la Guerre froide. Elle chercha plus qu’auparavant à se ménager des alliés partout dans le monde (Cuba, Vietnam…) et notamment dans certains pays arabes comme la Syrie ou l’Egypte, le Moyen-Orient devenant alors un des théâtres d’affrontement majeurs de la Guerre froide.
En juillet 1956, Nasser nationalise le , jusque-là dominés par les intérêts français et anglais. Cette audace politique, véritable défi à l’Occident, l’institue définitivement en icône du monde arabe.
L’activité diplomatique du Caire est intense. Elle se décline notamment par une alliance officielle avec Moscou, qui finance la construction du barrage d’Assouan.
Farouche promoteur de la fondation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1964, il institue un , très antioccidental et anti-israélien.
Le « Raïs », chef politique dirigiste
La démocratisation promise en 1952 n'a pas lieu : clientélisme, corruption, bureaucratie et répression des opposants favorisent la concentration du pouvoir entre les mains du « Raïs ».
Malgré la défaite face à Israël en juin 1967 (guerre des Six-Jours), l’influence de Nasser est intacte : il cumule les postes de président de la République, de Premier ministre et de secrétaire général de l'Union socialiste arabe.
Fort de l’appui soviétique, Nasser proclame une guerre d'usure contre Israël en juillet 1969.
Cette guerre est un prélude à l'attaque égyptienne de 1973 contre Israël () par Anouar el-Sadate, son successeur.
Nasser succombe à une crise cardiaque le 28 septembre 1970.
Un personnage mythique, mais un bilan teinté d’échecs
A la mort de Nasser, la situation de l’Egypte est difficile. La croissance économique est en berne depuis la guerre des Six-Jours. Et les Soviétiques sont plus nombreux en Égypte que ne l'étaient les Anglais en 1954. En dépit de la grande popularité qu’il conserva jusqu’à son décès, en 1970, on dit parfois de Nasser que sa vraie mort, politique, intervint en juin 1967. Devant l’échec des armées égyptiennes et l’amputation du territoire égyptien (occupation du Sinaï par les troupes israéliennes), les rêves de grandeur retrouvée incarnés par le nassérisme se brisèrent.
Textes d’Antoine Coppolani, Professeur d'histoire contemporaine à l’université Montpellier 3
Pour aller plus loin
Paix et Guerre au Moyen-Orient, Henry Laurens, Paris Arman Colin, dernière édition.
Géopolitique du sionisme. Stratégies d’Israël, Frédéric Encel, Paris, Armand Colin, 2009.
Gamal Abdel Nasser, Jean Lacouture, Paris, Bayard, 2005.
Egypt on the Brink. From the Rise of Nasser to the Fall of Mubarak, Tarek Osman, Yale University Press, 2010
1967. Six jours qui ont changé le monde, Tom Segev, Paris, Denoël, 2005.
Frères Musulmans
Les Frères musulmans sont une confrérie religieuse fondée en 1920 par Hassan al-Banna. Ils prônent un retour à un Islam intégral fondé sur le Coran et les hadiths (les « dits et faits » du Prophète). Ils s’opposent à l’influence morale de l’Occident, tout en admettant le progrès technique et scientifique. Hostiles à l’occupation britannique, les Frères musulmans, forts de près de deux millions d’hommes durant la Seconde Guerre mondiale, prirent des contacts avec les force de l’Axe. Dotés d’une aile paramilitaire terroriste, ils participèrent à des attentats qui tuèrent deux Premiers ministres égyptiens, en 1945 et 1948. L’année suivante, Hassan al-Banna fut assassiné à son tour. Les Frères musulmans contribuèrent à la chute de Farouk, mais les relations avec Nasser s’envenimèrent aussitôt, devant la relative laïcisation du pays opérée par le nouveau dirigeant. Nasser mit à profit une tentative d’assassinat manquée contre sa personne, en 1954, pour dissoudre l’organisation et emprisonner ou exiler ses responsables. Très affaiblis, les Frères musulmans ne furent cependant pas éradiqués du paysage politico-religieux égyptien. L’organisation fut à nouveau déclarée légale dans le sillage du Printemps arabe de 2011 et de la chute d’Hosni Moubarak.
Avec l’élection de Mohamed Morsi à la présidence de l’Egypte en juin 2012, les Frères musulmans accèdent, pour la première fois de leur histoire à la tête du pays, dans un contexte où les leviers du pouvoir sont encore largement détenus par l’armée.
Un souk égyptien avec un portrait de Nasser en arrière plan.
Guerre froide
La Guerre froide naquit de la dislocation de la Grande Alliance scellée durant la Seconde Guerre mondiale entre les Etats-Unis, l’Angleterre et la Russie soviétique. Si, entre 1945 et 1947, il est encore possible de parler d’escarmouches entre les anciens alliés, la rupture est consommée en 1947. D’aucuns proposent d’ailleurs comme date d’entrée dans la Guerre froide le 12 mars 1947, date à laquelle le Président Truman énonça sa doctrine éponyme, visant à « endiguer » l’expansion du communisme international. Quant à l’expression elle-même, elle est employée dès 1945 par George Orwell et popularisée ensuite par l’influent journaliste politique américain Walter Lippmann. Opposition idéologique et stratégique, bloc de l’Ouest contre bloc de l’Est, la Guerre froide fut aussi théorisée en cette même année par la doctrine Jdanov, l’idéologie du régime soviétique, jugeant inéluctable l’affrontement entre un camp « impérialiste et anti-démocratique » occidental et un camp « anti-impérialiste et démocratique » guidé par Moscou. L’équilibre global de la Guerre froide fut bien défini par la formule de Raymond Aron « Paix impossible, guerre improbable ». Si l’équilibre de la terreur nucléaire rendait improbable un effrontément direct entre les superpuissances, les crises internationales (Berlin, Cuba, etc.) ou conflits localisés (Corée, Vietnam, Afghanistan, etc.) abondèrent jusqu’à la chute du Mur de Berlin, en 1989, et l’implosion de l’URSS, en 1991.
Nikita Khrouchtchev (1894-1971), homme d'Etat soviétique, lâchant une colombe en présence de Nasser, d'Abdel Salam Aref et d'Ahmed Ben Bella. Environs du barrage d'Assouan (Egypte), 16 mai 1964.
Mouvement des « non alignés »
Le mouvement des non-alignés est une organisation internationale née dans les années 1950, en réaction à la Guerre froide. Comme son nom l’indique, les pays fondateurs entendaient mener une politique étrangère indépendante de l’orbite de l’une ou de l’autre des superpuissances. Au début des années 2010, l’organisation comptait 120 membres et 17 Etats observateurs, soit deux tiers des Etats membres de l’ONU, représentant plus de la moitié de la population mondiale.
En 1955, les dirigeants de 29 pays d’Asie et d’Afrique se réunirent à Bandung, en Indonésie, pour discuter sur les moyens leur permettant de renforcer la solidarité et la coopération entre leurs pays. La délégation chinoise conduite par le premier ministre Zhou Enlai, y proposa les « Cinq Principes de la Coexistence pacifique » (respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, non-agression mutuelle, non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, égalité et avantages réciproques, et coexistence pacifique), apportant ainsi une contribution historique à la cause de la solidarité afro-asiatique.
L’organisation fut formellement fondée à Belgrade en 1961, à l’initiative de Josip Broz Tito, Gamal Abdel Nasser, le Premier ministre indien, Nehru, ou encore le Président indonésien, Sukarno.
Le « non alignement », toutefois, fut une doctrine parfois difficile à mettre en œuvre et certains des pays fondateurs s’alignèrent, en réalité, sur l’URSS durant la Guerre froide : Egypte, Yougoslavie, Inde ou encore… Cuba. C’est d’ailleurs Fidel Castro qui définit en 1979, dans la Déclaration de La Havane, le rôle de l’organisation : « Assurer l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité des pays non-alignés » dans leur lutte « contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, le racisme et toutes formes d’agressions étrangères, occupation, domination, interférence ou hégémonie ». En cette même année 1979, le mouvement se scinda sur la question de l’intervention soviétique en Afghanistan. Depuis la fin de la Guerre froide, le mouvement a réorienté ses priorités en direction de la lutte pour le développement et contre les inégalités.
Nasser et Jawâharlâl Nehru (1889-1964), homme d'Etat indien, à l'aéroport de Jakarta, pour la conférence de Bandung, en avril 1955.
Canal de Suez
Le Canal de Suez relie Port-Saïd, sur la Méditerranée, à Suez, située à la pointe nord de la Mer rouge, à travers l’isthme de Suez. C’est un ouvrage majeur pour les transports maritimes internationaux, permettant aux navires de fort tonnage de court-circuiter la route du Cap de Bonne Espérance pour passer de l’Océan Indien à l’Océan Pacifique, de l’Asie à l’Europe. Les revenus générés par le canal de Suez représentent, depuis sa nationalisation par Nasser, l’une des principales sources de revenus de l’Etat égyptien. A l’époque pharaonique, un canal reliant le Nil à la Mer Rouge existait déjà, mais avait ensuite été abandonné. Lors de l’expédition d’Egypte, en 1798, Bonaparte ordonna à un groupe d’experts d’étudier la construction d’un canal reliant les deux mers. C’est Ferdinand de Lesseps qui se chargea, à partir de 1859, de cette construction. Le canal fut inauguré en 1869, sous Napoléon III. Ferdinand de Lesseps avait fondé la Compagnie universelle du Canal de Suez, dont les Britanniques devinrent aussi actionnaires, tandis que la convention de Constantinople, en 1888, fixa le statut international du canal. Celui-ci devait être ouvert à tous les navires, en temps de guerre comme en temps de paix. Souhaitant construire un autre grand ouvrage d’art, le barrage d’Assouan, et ayant échoué à obtenir des garanties financières de la part des Etats-Unis, Nasser nationalisa le canal en 1956 et en transféra la gestion à la Suez Canal Authority.
Nasser saluant la population dans le train qui le ramène au Caire après la nationalisation du canal de Suez. Alexandrie (Egypte), 1956.
Bateaux coulés à l'entrée du canal de Suez à Port-Saïd pour en empêcher tout accès après sa nationalisation par le président Nasser. 11 août 1956.
Guerre du Kippour où guerre d'Octobre 1973
La « guerre d’usure » fut lancée par Nasser contre Israël dès le début de l’année 1968 et elle culmina en 1969 et 1970, soit jusqu’à sa mort. Elle visait à effacer la cuisante défaite de 1967 en harcelant les Israéliens le long du canal de Suez, désormais bloqué. En outre, Nasser s’appuyait de plus en plus sur les armes et équipement soviétiques, qui affluèrent en Egypte. Enfin, les liens avec les Palestiniens s’affermirent, ceux-ci attaquant les Israéliens sur leur flanc est, depuis la Jordanie. La montée en puissance des Palestiniens inquiéta le roi Hussein et le conduisait à déclencher les opérations de répression de Septembre noir, en 1970. Le 27 septembre, l’intervention de Nasser parvint à faire cesser les hostilités entre les Jordaniens et les Palestiniens, avant qu’il décède, le lendemain. Son successeur, Anouar el Sadate, mena une politique habile visant à récupérer les territoires perdus en 1967. Pour avoir les mains libres, il expulsa les conseillers soviétiques en juillet 1972. Il s’assura que les Saoudiens brandiraient l’arme du pétrole en cas de guerre avec Israël. Il noua par ailleurs une alliance militaire avec les Syriens. Ces éléments lui permirent de déclencher, par surprise, une attaque conjointe contre Israël, le jour du Yom Kippour 1973. Pris par surprise, Israël vacilla sous le choc, avant de reprendre pied. Le ministre de la Défense de Golda Meir, Moshe Dayan, estima que le « Troisième temple » (l’Etat hébreu lui-même) était sur le point de s’écrouler. La guerre dura du 6 au 24 octobre et se doubla d’une crise internationale très grave, requérant l’implication diplomatique et militaire (ponts aériens) des Américains comme des Soviétiques. La guerre d’Octobre eut pour effet de modifier considérablement l’équilibre diplomatique et psychologique dans la région. Convaincu qu’il n’aurait pas la paix avec l’Egypte sans rétrocession du Sinaï, Israël s’engagea avec ce pays dans un processus de paix sous les auspices américains. Il culmina avec les Accords de Camp David, en septembre 1978 et le traité de paix israélo-égyptien, en mars 1979.
Véhicules abandonnés dans le désert du Sinaï après la guerre israélo-arabe d'octobre 1973.
Panarabisme et nassérisme
Le panarabisme s’inscrit dans le mouvement de la renaissance arabe, la Nahda, tel qu’il a émergé au XIXe siècle. Il exalte l’unité arabe et notamment celle qui avait été instaurée par la dynastie des Omeyyades au VIIe siècle. C’est cette grandeur trop longtemps éclipsée que souhaitaient, par exemple, restaurer les fondateurs du Parti Baas, en 1947, Michel Aflaq et Sala al-Din al-Bitar.
En Egypte, Nasser se fit le héraut du panarabisme, dont une des caractéristiques était l’arabisation et non l’islamisation, d’un projet politique. De ce point de vue, la participation de Nasser à la première guerre israélo-arabe en 1948, a certainement été un évènement fondateur. Son panarabisme visait à unifier les « terres arabes » -telles qu’il les définissait sous la houlette des Arabes. Israël était considéré comme une « base occidentale » ou encore « une flèche pointée contre le cœur de l’Egypte ». La Voix des Arabes (Sout Al-Arab), la puissante radio de Nasser, permettait de diffuser « de l’océan au Golfe » ses discours enflammés. Le panarabisme devint une composante essentielle du nassérisme.
Les succès remportés par Nasser, notamment l’issue de la crise de Suez ou la construction du barrage d’Assouan, lui permirent de se faire entendre dans un monde arabe qui, à l’époque, apparaissait très affaibli : l’Iraq et la Syrie était en proie à des coups d’Etat, le Liban victime de ses guerres intestines, le roi Hussein de Jordanie luttait pour sa survie politique, le roi du Maroc contre sa propre armée, dont les généraux avaient à plusieurs reprises tenté de l’éliminer. Même l’Arabie saoudite, le seul rival potentiel de Nasser, était divisée entre les lignes définies par le roi Saoud et celle du Prince, et futur roi Fayçal. Entre 1958 et 1961, le panarabisme s’illustra dans la création de la République arabe unie, englobant l’Egypte, la Syrie et, pour une courte période, le Yémen.
Au second plan, 2ème à gauche : le président Gamal Abdel Nasser. Au premier plan, de gauche à droite : Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella reçevant des fleurs de jeunes membres de la République Arabe Unie. Le Caire (Egypte), 2 avril 1962.
Guerre d’usure et Guerre d’Octobre 1973 (aussi connue sous le nom de Guerre du Kippour ou Guerre du Ramadan)
La « guerre d’usure » fut lancée par Nasser contre Israël dès le début de l’année 1968 et elle culmina en 1969 et 1970, soit jusqu’à sa mort. Elle visait à effacer la cuisante défaite de 1967 en harcelant les Israéliens le long du canal de Suez, désormais bloqué. En outre, Nasser s’appuyait de plus en plus sur les armes et équipement soviétiques, qui affluèrent en Egypte. Enfin, les liens avec les Palestiniens s’affermirent, ceux-ci attaquant les Israéliens sur leur flanc est, depuis la Jordanie. La montée en puissance des Palestiniens inquiéta le roi Hussein et le conduisait à déclencher les opérations de répression de Septembre noir, en 1970. Le 27 septembre, l’intervention de Nasser parvint à faire cesser les hostilités entre les Jordaniens et les Palestiniens, avant qu’il décède, le lendemain. Son successeur, Anouar el Sadate, mena une politique habile visant à récupérer les territoires perdus en 1967. Pour avoir les mains libres, il expulsa les conseillers soviétiques en juillet 1972. Il s’assura que les Saoudiens brandiraient l’arme du pétrole en cas de guerre avec Israël. Il noua par ailleurs une alliance militaire avec les Syriens. Ces éléments lui permirent de déclencher, par surprise, une attaque conjointe contre Israël, le jour du Yom Kippour 1973. Pris par surprise, Israël vacilla sous le choc, avant de reprendre pied. Le ministre de la Défense de Golda Meir, Moshe Dayan, estima que le « Troisième temple » (l’Etat hébreu lui-même) était sur le point de s’écrouler. La guerre dura du 6 au 24 octobre et se doubla d’une crise internationale très grave, requérant l’implication diplomatique et militaire (ponts aériens) des Américains comme des Soviétiques. La guerre d’Octobre eut pour effet de modifier considérablement l’équilibre diplomatique et psychologique dans la région. Convaincu qu’il n’aurait pas la paix avec l’Egypte sans rétrocession du Sinaï, Israël s’engagea avec ce pays dans un processus de paix sous les auspices américains. Il culmina avec les Accords de Camp David, en septembre 1978 et le traité de paix israélo-égyptien, en mars 1979.